Pour l'égalité effective des départements ultramarins et la fin des effets racisants du post-esclavagisme

La France, grâce aux départements français ultramarins et aux territoires ultramarins, est présente aux quatre coins du globe. Ce qui lui permet d’être au 1er rang mondial pour sa biodiversité et au 2nd rang pour son domaine maritime. 

La Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane - qui n’est pas une île – sont des départements français depuis la loi de départementalisation du 19 mars 1946 qui a mis fin, dans les textes, à la colonisation qui a succédé à l’esclavage aboli (pour la 2ème fois) par décret du 27 avril 1848 impulsé – entre autres – par Victor Schœlcher. 
Mayotte, qui a une histoire autre quant à elle, est un département français depuis le 31 mars 2011. 

Le Zamana, symbole de la révolte du 22 mai 1848. Martinique.

Si des représentations condescendantes persistent, dans l’esprit républicain français et en droit comme dans les consciences de beaucoup de Français ces départements sont aussi français que les 96 autres et doivent l’être. Pourtant, ils sont - d’une manière générale - traités de façon totalement inégalitaire par rapport à l'Hexagone. 
En tant que citoyens français, nous dénonçons l'ensemble de ces inégalités et plaidons pour une réparation immédiate, expression de la fin d'un véritable continuum socio-racial.

1) Sur le plan cartographique

Une carte géographique est une représentation d’un certain monde. Toute représentation du monde implique des choix quant aux informations gardées ou enlevées. Toute carte révèle le point de vue de son auteur sur le monde. 
Aussi la carte du monde vu de Chine (1) n’est-elle pas celle de l’Europe du XVIème siècle, ni celle des USA qui ont le choix entre la représentation occidentale et celle plaçant l’Amérique au centre, ni celle de l’Australie avec le Sud placé en haut. 

Or dans toutes les institutions (sans oublier l’Éducation nationale), dans les medias comme partout ailleurs - voire chez les politiques qui affichent leur volonté d’ « égalité réelle » - ainsi qu’au niveau le plus élémentaire, existe une inégalité flagrante qui n’échappe aux yeux d’aucun Ultramarin : la représentation nationale se limite tragiquement à la carte de l’Hexagone et de la Corse. 
Ainsi, lors de l’apparition du Covid19, ce n’est qu’après plusieurs interpellations sur les réseaux sociaux que, durant les conférences de presse des ministres, les départements ultramarins ont été représentés aux côtés de l’Hexagone et, par suite, dans les medias (quand ils n’ont pas été représentés à l’envers ou avec des erreurs de noms).

Une bonne représentation enclenche un cercle vertueux. Nous demandons que cette représentation cartographique incluant l’Hexagone, la Corse et les 5 départements ultramarins soit la norme, qu’elle soit généralisée (avec précision des échelles) et de manière définitive. Cette question de représentation est primordiale car d’elle découlent la connaissance, les automatismes, les impensés de réflexe. 

Proposition de carte de France par Nous Demain

2) Sur le plan économique et social

Exclus des études nationales et statistiques, ces départements ultramarins, loin d’être des assistés, vivent de profondes inégalités économiques et sociales. 

Des inégalités dont ne sont pas exempts d’autres territoires de la République mais qui, dans leur ampleur, dans leur cumul, dans leur persistance, s’expliquent également par l’histoire esclavagiste, post-esclavagiste, coloniale, post-coloniale, plantationnaire et pigmentocratique des Ultramarins, une histoire que la France et les Français veulent pourtant dépasser.
  • Inégalités sociales et salariales 

→ Le taux de pauvreté dans les départements ultramarins est en moyenne de 40 % et le taux de chômage de 22 % (en 2018) contre 8 % dans la France continentale (jusqu'aux publications de 2017, l'INSEE indiquait uniquement le chiffre de la France "métropolitaine" dans son communiqué et Mayotte est toujours exclus de ce comptage). 

→ L’accès aux prestations sociales est fortement inégalitaire : qu’il s’agisse de Complément familial ou d’APL, l’accès au droit est différent de celui de l’Hexagone. Idem pour leur montant alors que la vie est plus chère en Outremer. 
Rappelons que ce n’est qu’en 1996 que le SMIC des DOM a été réhaussé et aligné sur celui de l’Hexagone. 

→ Les écarts de revenus avec les fonctionnaires qui y sont installés et qui bénéficient depuis 1950 de « prime de vie chère » (part importante des 4 % des dépenses du budget de l’État et source de profondes inégalités entre salariés du public et du privé) vont de 40% à la Martinique jusqu’à 108% dans le Pacifique. Une discrimination mise en place afin d'attirer initialement les Hexagonaux, sans cesse remise en cause par des politiques de tout bord, créatrice de tension sociale, qui constitue un véritable frein à l'investissement des collectivités territoriales et qui s'accompagne de la pérennisation des monopoles économiques et financiers. Alors même que le droit aux congés bonifiés des fonctionnaires ultramarins travaillant dans l'Hexagone ne cesse de s'amenuiser, empêchant de plus en plus ces derniers de revenir en Outremer.

Nous estimons qu’il est temps que la décolonisation soit effective. 

Nous exigeons, d’une part, que les chiffres des départements ultramarins soient retenus dans toutes les études et statistiques concernant la France, sans discrimination aucune. 

D’autre part, afin de lutter contre les inégalités, nous demandons que l’ensemble des prestations sociales soient égales à celles admises dans l’Hexagone et que les primes attribuées aux seuls fonctionnaires soient complètement supprimées d'ici 5 ans.

  • Fracture numérique 

Quand 100 % et 81 % des Hexagonaux bénéficient respectivement d’un réseau téléphonique et d’un accès à Internet, ce chiffre tombe à 72 % et 50 % pour les Ultramarins. 

La Start-up Nation a ainsi des failles gigantesques qu’il conviendrait de réduire au plus vite dans ces départements éloignés de plus de 8 000 kms de l’Hexagone et qui manquent affreusement d’infrastructures routières et de transports collectifs. 

  • Infrastructures d’assainissement 

Les départements ultramarins – nous ne parlons pas ici de pays « sous-développé » mais des départements de la 6ème puissance mondiale - accusent un retard extrêmement important en terme d’infrastructures d’assainissement et d’accès à l’eau potable. À la Guadeloupe, les habitants sont sans eau potable depuis des années (2). 

Si en 2019, 42% des sources d’eau douce seraient de bonne qualité à la Martinique (contre 56 % dans l’Hexagone) tandis que 12% le seraient en Guyane et 23% en Guadeloupe, l’eau douce est fortement polluée, en particulier à cause du chlordécone. 

Rappelons que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, reconnu comme un droit fondamental de l’homme, est une question de dignité humaine. 

Nous estimons pour notre part qu’il est anormal que cette situation perdure dans une République digne de ce nom. 
S’il faut 1 milliard d'euros pour remettre toutes les infrastructures en bon état à la Guadeloupe, cette somme semble logiquement à la portée immédiate d’un État qui, par temps de Covid, est capable de distribuer de l’argent magique par dizaines de milliards, en 48 heures, à des entreprises dont certaines ont déjà empoché du CICE (200 milliards depuis 2013 et en dehors de tout contrôle) envolé en dividendes et sans les créations d’emploi attendues. 

  • Difficulté de financement et discrimination 

Les Ultramarins sont empêchés dans leur volonté de créer et d’entreprendre. Les barrages sont nombreux : 25 % d’entre eux n’auront pas accès aux financements (contre 18 % pour l’Hexagone). Ce qui est un frein sérieux au développement et à la diversification de l'économie ultramarine dirigée à 90% par les descendants locaux d'esclavagistes (1% de la population à la Martinique). 
Sans compter les refus automatiques d’acceptation de chèques émis du simple fait de l’origine de l’Ultramarin. 

Stopper ces discriminations devrait être une priorité. 

3) Sur le plan écologique et stratégique 


Les iniquités foncières et agraires qui découlent très directement de la période esclavagiste et des modalités de sortie de l’esclavage (dédommagement des maîtres et non des esclaves, aucun partage de la terre) ainsi que l'économie de logique coloniale tournée vers l'exportation (canne à sucre, bananes, ananas…) appellent des réformes exigeantes (3). Des remembrements fonciers selon Christiane Taubira, pour permettre aux descendants d'esclaves d'accéder au foncier. Une réforme agraire selon les revendications de la jeune génération (4).
Rappelons, par exemple, que 3 000 descendants d'esclavagistes et de colons ont la main mise, directement ou indirectement, sur l'ensemble de l'économie de la Martinique (360 000 habitants) y compris la production plantationnaire (5). 

Les départements ultramarins ont des atouts indéniables qu’il convient de protéger et de mettre en valeur car enjeux essentiels du développement durable : Les énergies renouvelables, l'économie bleue, la biodiversité terrestre et son exceptionnelle richesse faite de milliers d'espèces et habitats naturels (6)... 

Le développement économique ultramarin passe par ces entreprises de demain, à l'écart de toute spéculation, dont la multiplication doit s'accompagner d'une politique de réforme agraire et de réappropriation des terres.

  • Sur le chlordécone et les sargasses 

Nous estimons extrêmement urgent pour la France qui souhaite Make Our Planet Great Again de s’occuper de ses départements et de l’empoisonnement des terres, de l’eau et des hommes par le chlordécone, cet insecticide toxique autorisé par Jacques Chirac en 1972 dans les départements ultramarins en dehors de toute réglementation sérieuse et malgré son interdiction en France depuis 1990 (ce qui renvoie une fois de plus à la distinction Hexagone/France et à l’inégalité de traitement des citoyens). 

L’urgence est la même pour les sargasses échouant de plus en plus sur les littorales depuis 2011 (jusqu’à 40 000 tonnes à la Guadeloupe) - parallèlement à la disparition progressive des lambis empoisonnés au chlordécone - et empestant les départements de leur odeur nauséabonde.

Sargasses à l Martinique

  • Sur les politiques de défiscalisation 

Nous estimons qu’il doit être mis fin à la politique de défiscalisation (loi Pons, etc.), cette forme de néocolonialisme financière qui profite presque totalement aux Hexagonaux n’hésitant pas à mettre KO les employés au bout des 5 années de conservation obligatoire des parts ou titres des sociétés défiscalisées, après avoir détruit la beauté des paysages par leurs constructions et privatisé des plages et autres au détriment des natifs, tout en imposant leur mode de vie et de loisirs. 

  • Sur la repeuplement 

S’agissant par exemple de la Martinique et compte tenu de l’exode de la jeunesse (64%) vers l’Hexagone principalement, elle sera dans quelques années le département le plus vieux de France. 

Des mesures urgentes doivent être mises en place afin de faciliter le retour au pays. Et si défiscalisation il y a, elle doit être mise au service des originaires d’Outremer afin de faire revivre l'esprit de solidarité intrafamiliale dans cette société qui ignorait la culture des EHPAD, de redonner corps aux us et coutumes qui faisaient naturellement ciment et qui disparaissent de plus en plus.

4) Sur la sémantique


Finissons-en une bonne fois pour toute avec le vocabulaire esclavagiste.

Le "nègre", langage du paraître de l'esclavagisé dans lequel il est réduit à sa seule couleur de peau, une peau différente de celle qui est la norme, est, seulement depuis peu, banni du vocabulaire pour désigner "un prête-plume".

Qu'il en soit de même pour "homme de couleur", "personne de couleur" qui sont du même registre : "homme de couleur", synonyme de masse informe sans tête pensante, symbole de la servitude et de l'infériorité de ces êtres de couleur différente de la couleur blanche.
Qu'il en soit de même pour la France "métropolitaine", pour "la métropole", et la région "ultrapériphérique", vestiges du passé colonial de la France continentale et de ses colonies extérieures.
Qu'il en soit de même pour "minorités visibles", symbole de la majorité assise et forcément blanche.
Qu'il en soit de même pour "quartiers populaires" symbole de l'à côté de la République.
Qu'il en soit de même pour le monde du cinéma et de l'audiovisuel avec ses castings racisés en totale infraction avec les lois de la République.

Afin de plus renfermer l'autre dans sa couleur de peau ou son origine sociale, il nous faut d'autres termes. Et pour cela, il faut reconnaître son histoire, la valoriser et partager la mémoire d'un peuple.

5) Sur le mémoriel 


Les Ultramarins souhaitent que la mémoire de leurs ancêtres - ancêtres qui ont permis la richesse de l’Hexagone - disparus par centaines de millions sous le joug de l’esclavage et de la colonisation soit respectée et convenablement honorée. 

C’est pour cela que nous estimons :
  • Que la France doit aider à la mise en œuvre d’un Forum Mondial de l’Esclavage avec délégations officielles des chefs d’États et d'un Musée de l'Esclavage, lieu de recueillement et de passation de mémoire digne de ce nom à Paris ;
  • Que la statue de Colbert, l’instaurateur du Code Noir qui a fait des esclaves des biens meubles valant bien moins que du bétail (7), positionnée devant l’Assemblée nationale, doit être exposée dans un musée - comme c'est le cas pour le buste d'Hitler (8) - et remplacée par celle de Victor Schoelcher et des héros ultramarins morts pour leurs frères esclaves (9) ; 
  • Que la France, du point de vue de la toponymie, doit procéder aux changements qui s’imposent et faire que dans les rues - sans oublier le Cap Nègre, sa plage, son avenue - les noms des négriers soient remplacés par ceux qui ont combattu l’esclavage. Que les noms des Ultramarins qui ont combattu au prix de leurs vies soient sur les plaques. Qu’il soit mis fin à la ségrégation toponyme qui renvoie les personnalités noires vers les banlieues laissées de côté, vers les arrondissements de l’Est de Paris, vers des bouts de jardin bétonné et de minuscules sections de rue que personne ne voit.
  • Que les lieux qui ont servi de cimetières aux esclaves, tel le symbolique Zamana de l'habitation Céron au Prêcheur (Martinique), soient des lieux de respect et de pèlerinage afin que leur histoire soit préservée de tout mercantilisme.
***

Nous ne demandons pas une égalité réelle sur 25 ans en sacrifiant une génération, nous exigeons une égalité réelle immédiate pour les départements ultramarins et les Ultramarins. 

Nous estimons que la République doit faire en sorte que, si tous les citoyens sont égaux en droit, cette égalité citoyenne, politique, économique, sociale, s’applique dans les départements français ultramarins de la même manière qu’elle doit être appliquée dans l’Hexagone. 

Car la crise de confiance, la colère sociale, l’insularité exposée au tout-vent de la mondialisation, la fin de l’esprit de résignation et la volonté de réappropriation mémorielle qu’il convient de regarder en face, font de l’égalité effective une exigence de plus en plus forte à laquelle il est urgent de répondre. 

L’histoire esclavagiste, post-esclavagiste, coloniale, post-coloniale, plantationnaire et pigmentocratique a laissé des séquelles encore bien visibles dans les sociétés ultramarines. Et l'on ne peut les mettre de côté ou les caricaturer. 

Pallier les inégalités civiques, sociales, économiques des départements ultramarins c’est faire un grand pas vers une société apaisée. Et, il est venu le temps. Le temps d'une réalité nouvelle.

C’est également pour ces raisons que nous plaidons pour que, au lieu d’être englués dans une relation exclusive et lointaine avec l’Hexagone - une relation toxique si elle est mal pensée et si elle s’impose au détriment des citoyens - les Ultramarins se rapprochent davantage de leurs voisins membres de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) afin de parfaire cette alliance. Car, cet immense bloc créolophone, francophone et anglophone est synonyme d’opportunités et de développement pour les départements ultramarins des Caraïbes. C'est  dans le même esprit que le sénateur Paul Verges plaidait pour que soient négociés des moratoires sur la liberté du commerce avec les pays voisins de La Réunion.



  **  Liens **



(2) Audit sur l’eau potable en Guadeloupe ; Condamnation du Syndicat Intercommunal d’Alimentation en Eau et d’Assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) : Ordonnance du 15 Mai 2020.

(3) Sénat : Rapport de commission sur la réalité agricole en Outremer (et l'absence de mesures relatives à leur spécificité).

(4) Revendications d'une réforme agraire par une nouvelle génération.

(5) Les descendants de colons, maîtres de l'économie ultramarine

(6) Biodiversité et conservation Outremer


(8)  3 septembre 2019, découverte au Sénat du buste d'Hitler et drapeaux. 

(9) 22 mai 2020,  déboulonnage de la statue de Victor Schœlcher à la Martinique.


Mis à jour du 13 juin 2020

La pétition (cliquer ici)  intégrant ce texte est en ligne sur change.org



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